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Cooperation et solidarité, entre Slavoj Zizek y Byung Chul Han

Par Atawallpa Oviedo Freire

Les paroles que l’on entend le plus actuellement dans le monde, des présidents, des hautes autorités mondiales, des millionnaires, des philosophes, des personnalités, jusqu’aux êtres humains les plus simples et les plus pauvres sont : coopération, solidarité, union, coordination, appui, organisation, collaboration, responsabilité, discipline, conscience, communauté, commune.

La question qui se pose est la suivante : une fois que le coronavirus sera maîtrisé ou en voie de l’être, sera-t-il possible de construire un monde selon ces catégories et ces principes, précédemment noté ? Comment serait un tel système? Quel serait l’axe moteur de ce nouveau mode de vie ? Il a peut-être déjà existé et il faut le peaufiner ? Le coronavirus marquera-t-il  un avant et un après ?

António Guterres, secrétaire général de l’ONU, disait : «Des millions de vies seront en danger, si le monde n’est pas solidaire face au coronavirus».

Michelle Bachelet et Filippo Grandi, respectivement, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et aux réfugiés, notaient : «Si nous avions besoin de nous rappeler que nous vivons dans un monde interconnecté, le nouveau coronavirus l’a rendu évident. Aucun pays ne peut y faire face seule, et aucune partie de nos sociétés ne peut être ignorée si nous voulons relever efficacement ce défi mondial».

Dans un article publié dans The Guardian, les dirigeants de l’ONU affirment que le Covid-19 est un test non seulement de nos systèmes et mécanismes de soins de santé pour répondre aux maladies infectieuses, mais aussi de notre capacité à travailler ensemble comme une communauté de nations face à un défi commun.

Le FMI a également appelé à la coordination internationale face à l’effondrement des marchés par le coronavirus. Le FMI a demandé aux gouvernements du monde d’élaborer une «réponse internationale coordonnée» comme lors de la crise financière de 2008 pour contrer l’impact économique du nouveau coronavirus, à un moment où les marchés se sont effondrés.

Le FMI a offert un crédit de 1000 milliards de dollars et a appelé à la coordination internationale en vue de sa mise en œuvre. Sa directrice générale, Kristalina Georgieva, a appelé les gouvernements et les institutions financières du monde entier à unir leurs efforts et à coordonner leurs actions. «Bien que la quarantaine et l’éloignement social soient la recette correcte pour lutter contre l’impact du Covid-19 sur la santé publique, l’économie mondiale a besoin de l’inverse», affirme Georgieva, pour demander un «contact permanent et une coordination étroite» comme « médecine » pour que «la douleur infligée par le virus soit de courte durée ». (…) «Nos réponses à cette crise ne proviendront pas d’une méthode, d’une région ou d’un pays pris isolément. Ce n’est que par l’échange, la coordination et la coopération que nous pourrons stabiliser l’économie mondiale et la rétablir en pleine santé. «

Le Président de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), George Tsereteli, a appelé à la coordination et à la solidarité pour faire face à la crise résultant de la pandémie de coronavirus, en mettant l’accent sur les droits de l’homme et les mesures économiques.

Iratxe García Pérez, présidente des socialistes et démocrates au Parlement européen, dans un article paru dans le journal El País de Espagne, notait que «Trop fixés sur la croissance macroéconomique, nous avons permis que souffrent des politiques publiques, comme les systèmes de santé, qui aujourd’hui se révèlent fondamentales. L’individualisme, le consumérisme et aussi la solitude se sont mondialisés, comme en témoignent des philosophes et des sociologues comme Gilles Lipovetsky ou Zygmunt Baumann. Cette crise terrible peut et doit être une opportunité de revenir à l’essentiel, de mondialiser la solidarité. Et dans le cas de l’UE, de revenir au sentiment de «communauté». Nous sommes une communauté, car nous dépendons les uns des autres, et ce n’est qu’ensemble que nous pourrons faire face aux crises. Ce sera le moteur de la réponse à l’attente des citoyens. La solidarité que nous n’avons pas été en mesure de traduire en action pour freiner les conséquences sociales de l’austérité, pour relever les défis de l’immigration, ou pour stopper le réchauffement climatique, nous devrons l’exercer pour freiner le coronavirus. Que ce soit le début d’un nouvel esprit communautaire et solidaire.

Peut-être que le monde l’a compris et qu’il est possible de construire un autre monde. Peut-être l’Occident réagira-t-il, ou ce sera seulement la solidarité de ces jours jusqu’à ce que l’on parvienne à maîtriser ce virus et ensuite on reviendra à l’individualisme, à l’isolement, à la non solidarité, à la non coordination, à la non coopération du capitalisme mondial. Pour le moment, il ne semble apparaître qu’une solidarité éventuelle et seulement au niveau sanitaire, et non l’idée de dépasser le capitalisme pour un autre système de vie intégral, qui soit : solidaire, réciproque, complémentaire.

En tout cas, ce virus a dit à l’être humain arrogant et dominateur, comment un être minuscule peut l’anéantir. Il a prouvé que sa liberté, son égoïsme, sa superficialité, sa vanité ne sont rien face à un virus mortel. Mais il a non seulement démontré la fragilité de l’être humain en tant que tel, mais aussi celle de sa société séparatiste, consumériste et matérialiste. Ce virus a également révélé qu’un système qui n’a pas l’assistance et la participation coordonnée et consciente de toute la société, ne ferait que faire succomber tout le monde. Il semble que le coronavirus invite l’être humain civilisé à redécouvrir l’humilité en apprenant de la nature, en vivant comme les écosystèmes fonctionnent, en imitant les sociétés des fourmis ou des abeilles.

Ce n’est pas un hasard si ce virus s’est propagé plus rapidement dans les pays qui fonctionnent dans le particularisme, dans les sociétés de marché libre, dans les peuples qui ont déifié la propriété privée au lieu du collectif et du communautaire. En Europe, le bouclage des frontières n’a pas beaucoup servi, alors qu’en Asie orientale, la plupart des pays n’ont pas eu besoin de fermer leurs frontières, car ce sont des peuples qui ont un meilleur sens de l’union, de la coopération, de la discipline, la coordination, de la responsabilité collective.

Malgré la présence du libre marché et du droit de la concurrence, les sociétés asiatiques sont des collectivistes de longue tradition ou de longue date, bien que d’un «collectivisme autoritaire», comme le dit le philosophe coréen basé en Allemagne Byung Chul Han. L’Europe était aussi une communauté, mais avec le capitalisme, elle a perdu ce sens de la coopération pour donner la priorité à l’individu et au personnel. Et maintenant ils vivent dans la solitude, l’isolement, la séparation, et avec des taux élevés de dépression, d’anxiété, de peur. Ceux qui provoquent des maladies cardiaques, qui sont la première cause de décès dans le monde. Et l’Asie, depuis qu’elle est entrée sur la voie du marché et de la croissance effrénée, est également sur cette voie.

Cela ne signifie pas que le collectivisme soit parfait ou totalement émulable, car il y a beaucoup de choses qui échouent. Ce que nous voulons dire, c’est qu’il faut un équilibre entre le collectif et l’individuel, et celui de ne pas mépriser aussi simplement le communautaire et apologiser l’individuel, comme l’a fait l’Occident et qui souffre tant aujourd’hui du manque de solidarité et de coopération.

Cela ne signifie pas non plus cautionner l’échec collectif des communistes, car ils ont fait le contraire de ce que commande le communautarisme. Ils pensaient que le collectivisme était dans l’État centralisé et non dans le village autonomisé dans réseaux organisés comme une grande toile d’araignée. En Chine, l’étatisme qu’ils ont créé a fonctionné d’une certaine manière et ils sont en train de sortir de cette pandémie, mais au prix d’avoir perdu leur individualité, car le «grand frère» du parti communiste sait en combien de pulsations bat le cœur de chaque chinois. Ils ont profité du collectivisme chinois millénaire et l’ont transformé en un état-centrisme. Ils ont donc donné un autre coup au communautarisme, tout comme le capitalisme. Le capitalisme libéral et le capitalisme d’État sont les deux côtés d’une même médaille.

Tout le monde voulait aller en Europe, maintenant les étrangers qui sont là veulent rentrer chez eux. Les Africains, à qui certains européens disaient : restez dans votre sale pays, maintenant ne veulent pas aller au «sale» continent européen. Pourquoi lAfrique n’a pas non plus atteint le niveau de l’Europe, alors qu’elle est si pauvre. Cela a-t-il à voir avec la  coopération et la solidarité?

Ce virus, qui n’atteindra pas les peuples dits « peuples en isolement volontaire », qui se trouvent pour la plupart en Amazonie et qui n’ont aucun contact avec la civilisation, d’essence individualiste et compétitive. Celles qui sont aussi des sociétés collectives, seule possibilité de survie car si elles étaient comme les sociétés individualistes elles auraient disparu depuis longtemps, comme l’ont été toutes les sociétés d’Amérindiens et dont il n’en reste que très peu.

Cela explique peut-être aussi le petit nombre de personnes infectées en Amérique Latine, la majorité des cas sont dans les grandes villes où l’individualisme et la désorganisation à outrance fonctionnent. Les gens qui vivent à la campagne ont moins de chances d’être contaminés. Les grandes villes qui ont créé la civilisation et le capitalisme devraient disparaître, car ce sont les systèmes les plus fragiles qui existent.

Le monde continuera peut-être à prétendre ressembler davantage aux États-Unis, pays symbole de l’apologisme individualiste, qui n’a pas de sécurité sanitaire universelle et où se propage facilement et EEUU devient rapidement l’épicentre mondial du coronavirus. «Outre l’impact évident de la crise de la santé publique, peut-être deux millions ou plus de citoyens américains ont été licenciés du travail, puisque des milliers d’écoles, d’entreprises nationales et d’entreprises communautaires comme des gymnases, des restaurants, les bars et les magasins ont fermé leurs portes, soit volontairement, soit sur ordre du gouvernement de l’état ou local.»

Les nationalismes et les populismes, autres expressions de l’individualisme, ont également été vaincus par le coronavirus. Même symboliquement, Bolsonaro, l’extrémisme de l’individualisme et du négationnisme a été infecté. Et ainsi d’autres personnages qui se moquaient du changement climatique et du collectivisme, le confondaient avec le communisme.

La plupart des philosophes sont également d’accord sur la nécessité de la coopération et de la solidarité. Le slave Slavoj Zizek et le coréen Byung Chul Han pensent qu’il faut dépasser le capitalisme. Žižek estime que l’humanité ne peut plus vivre comme d’habitude et un changement radical est nécessaire”. Il dit “qu’il est temps de “penser à une société alternative, une société au-delà de l’État-nation, une société qui s’actualise elle-même dans les formes de solidarité et de coopération globale. Et Chul Han parle d’«une solidarité qui permette de rêver d’une société différente, plus pacifique, plus juste».

Ce dont ils ne sont pas d’accord, c’est si le coronavirus est le coup mortel ou non au capitalisme. Zizek estime que «le coronavirus est un coup porté au capitalisme à la Kill Bill”. Et le philosophe coréen Chul Han pense que Žižek se trompe : «Après la pandémie, le capitalisme continuera encore plus vigoureusement. (…) Le virus ne vaincra pas le capitalisme. La révolution virale ne se produira pas. Aucun virus n’est capable de faire la révolution ». Au lieu de cela, nous pensons que le coronavirus n’a pas porté un coup mortel au capitalisme, mais un léger coup, mais que cette bosse finira par se transformer en tumeur et finalement en cancer.

Ils ne sont pas non plus d’accord sur le nouveau système post-capitaliste. Žižek affirme que «le coronavirus nous obligera également à réinventer le communisme sur la base de la confiance dans les personnes et dans la science». Et Chul Han croit que Žižek «évoque un obscur communisme», et il dit que «Nous avons confiance en une révolution humaine derrière le virus. Nous sommes des personnes dotées de Raison qui doivent repenser et restreindre radicalement le capitalisme destructeur, ainsi que notre mobilité illimitée et destructrice, pour nous sauver, pour sauver le climat et notre belle planète.»

Nous sommes d’accord qu’il ne peut s’agir d’un communisme ou d’un état-centrisme, mais l’idée d’un tel nouveau système ne peut pas non plus être laissée à la «raison» comme le dit Chul Han, car c’est la raison même qui a façonné le capitalisme et les Lumières lui ont donné la pleine couronne, mais nous devons tirer parti de l’expérience accumulée de l’humanité. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système de coopération et de solidarité qui soit exprimé par tous et par tous. C’est-à-dire pas un «communisme obscur» ni un «collectivisme autoritaire», mais un coopérativisme solidaire qui ne soit ni autoritaire ni étatiste, mais non seulement entre les êtres humains, mais avec tous les êtres qui font la vie.

Traduit par Régine Chiffe

Por Alteridad

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